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Audio onoff
202107
Des machines et deux corps
Des âmes au contrejour
Qui errent dans les rues de Bienne
Du rouge et du vif

Une mère au milieu d’un lac
D’émotions
En équilibre
Qui danse

Juillet 15

Tisser un lien à la toile
Les yeux d’un pianiste
Le sens de l’équilibre
Et comprendre l’espace

Une flaque
Un couloir étroit
Qui s’agit de mener
À bout
Espérer pleinement l’absolu

Des touches en contact des doigts
Des sons qui résonnent
Des traits
Approximatifs
Estimés juste par instant
Douter toujours
Encore
Vouloir renaître sans raison

Regarder nos amis dans l’eau
Jeter une pierre
Et les racines prennent formes
Les couleurs se mélangent

Ouvrir un monde

Aimer le noir et le blanc
Déjouer les nuances
Sentir les odeurs et être transformées

Mourir à chaque fois
Et recommencer
Rire de nous
Pleurer de nos certitudes
Poisons infâmes nourriture de conneries
Brandir la vie
Se diluer

Accepter les rêves d’enfant
Se détourner de nos statues
Définir ombre et lumière
Faire exister
Offrir des possibles

Ne penser au lendemain que pour les autres
Libre maintenant
La mer éternelle
Lorsque les étoiles fuient
Poésie

Rue du Bourg, samedi 10 juillet 2021, DIPS et Alvin Schwaar entrent dans un loft immense situé en vieille ville de Bienne. Ils s’apprêtent à passer une semaine ensemble à huis clos pour une expérience ensemble qu’ils ont nommée « accord de concordance ». Les deux ne se connaissent quasiment pas. Ils se sont rencontrés à un endroit banal, ils ont échangé deux trois mots et leur numéro portable. Le premier est artiste peintre, il évolue aisément dans de grands espaces et a l’habitude de mener des projets de grande envergure mêlant différents genres expressifs. Sa première expérience explosive et intimiste, Wama Vola, traduit parfaitement le caractère endémique du personnage. Le second est pianiste professionnel issu du conservatoire de Bâle. Il a longtemps évolué au côté de Malcom Braff. Il est doué en improvisation et est capable presque instinctivement de ressentir les vibrations d’un espace et de les transformer en sonorité. DIPS explique être tombé en adoration avec la manière dont Alvin joue du piano : « il n’a ni de début ni de fin dans sa musique, il bâtit un univers. »

L'espace

Le Bourg’loft, comme l’ont appelé les heureux locataires qui leur prêtent le lieu, se situe en contrebas du clocher de la vieille ville de Bienne. Les fenêtres orientées à l’ouest donnent accès à une grande terrasse improvisée sur le toit du studio d’en dessous. Elle est recouverte de cailloux et envahie de mauvaises herbes. Quelques chaises rouillées et deux tables de camping y sont dispatchées en vrac. Il fait chaud en ce début de mois de juillet et les vacances estivales ravivent le cœur des helvètes. Le murmure des passants consolide l’idée des deux artistes qu’un enfermement durant huit jours sera une expérience intense. Il n’y a pas d’échéances dans cette expérience, que des instants à saisir. Par contre, le besoin compulsif de mesurer le temps est tellement imprégné en Occident que le son du clocher se permettra de les maintenir au quart d’heure. Toutefois, les deux ont ceci en commun qu’ils sont capables de se couper du monde. DIPS et Alvin Schwaar ont investi les lieux. Le peintre a pris garde de recouvrir le sol de toiles isolantes et de tapis, ainsi que les murs de plastique de protection pour éviter de tacher l’appartement. Le musicien s’est installé d’énormes tables de travail pour être le plus libre possible lors de ses futures improvisations. C’est la première fois qu’il dispose d’autant de place pour connecter toutes ses machines et instruments électroniques.

La relation

Les deux individus sont assez discrets dans leurs interactions verbales. Chacun se prépare calmement de son côté en prenant garde de laisser suffisamment de la place à l’autre. Et puis gentiment, les divers outils et matériaux trouvent leur place. Dans un élan très naturel, DIPS et Alvin Schwaar se mettent en action. Ils ne prennent guère la peine de converser. Chacun de leur côté, ils entament leurs propres rites. Le peintre marche pied nu sur ses toiles. Il ressent les moindres textures des différents matériaux au contact de ses pieds. Alvin Schwaar est davantage dans l’observation de l’espace. Il reste assis sur sa chaise. Son pouls ralentit.
Les deux se fondent dans le vide.

Les mots dipsiens

Je me souviens de cet instant où Alvin a juxtaposé des couches sonores métalliques. Je me sentais transporté au beau milieu d’une entreprise industrielle, en pleine nuit. Je me baladais à travers les ateliers et les outils laissés à l’abandon depuis des décennies. La lumière artificielle était belle et chaleureuse en ressortant de l’usine. Je ne connaissais pas sa source et pourtant elle me transperçait. J’étais à l’extérieur et aussi à l’entrepôt. Le jaune orangé se diffusait dans le noir en supposant les lignes dans l’espace dans lequel je me trouvais. Et parfois clairement je voyais des gouttes angulaires de couleurs froides néon apparaître dans mon paysage. Une âme m’épiait. Je sentis sa force. Elle était énorme, me rendait ridiculement petit et inoffensif. Elle n’était pas généreuse, mais pas vilaine non plus. Alors j’ai commencé à secouer une bombe aérosol pour appréhender le lieu et laisser des traces au cas où je ne ressortirais plus d’ici. Je tournais sans but autour de la toile dans le paysage imaginé à la recherche du temps qui se dilate. J’étais bien. Peu à peu, les tintements métalliques s’estompent et je perçois les échos d’une voix au loin. Je l’entends. J’ai l’impression qu’elle souhaite me parler. Je pose ma bombe, prends des bidons de peinture et m’agenouille sur le support pictural. Je trempe mes mains dans des liquides gris. J’éparpille les couleurs sur la toile avec l’idée d’en mettre partout. Au gré de mes actions, des nuances se créent. Et puis cette voix qui revient. Toujours plus présente. Je mets davantage d’intensité dans mes gestes. Cela devient brutal. Je me surprends à accélérer mes mouvements sur une surface qui devient quasiment sèche. Un peu de bleu, un peu de rouge. Je me bats ou je me perds. C’est comme si la voix avait pris commande de mon corps. À cet instant, je ne suis plus. Ou alors je suis devenu le paysage imaginé, la voix et l’espace dans lequel je suis. Nous sommes. La magie d’Alvin prend fin et sur la paume de mes mains j’aperçois de l’acrylique et du sang.